dimanche 29 novembre 2009

L’épopée marocaine de la légion étrangère

Extrait du livre Français intitulé :
L’épopée marocaine de la légion étrangère,
1903-1934, ou, Trente années au Maroc
par Jean-Paul Mahuault

(NB : Sidi Lhassen dans le texte est le Cheikh Moulay Ahmed Ben Mohamed Ben Lhassan SBAI : مولاي أحمد بن محمد بن الحسن السبعي)


De fait à la fin du mois de mars 1908, des rumeurs inquiétantes commencent à circuler dans le sud –Oranais.Peu à peu, la nouvelle de la formation d’une harka considérable se répand dans les palabres des douars.Des émissaires racontent que des milliers d’hommes sont sur le point de se réunir, soulevés par Sidi Lhassen, marabout de Douiret Sebbah, oasis située à quelque 200 kilomètres au nord-ouest de Colomb Béchar, au pied des premiers contreforts de l’Atlas.Les tribus du Tafilalet, ainsi que celles du Guir à Berguent, ont échappé à l’influence française, vont se joindre aux fractions descendues des montagnes, Toutes sont poussées par l’instinct séculaire des pillages.
De jour en jour, ces bruits, d’abord confus, se font plus précis, et les estimations plus fortes. On en vient à chiffrer l’effectif des rebelles à plus de 20 000. La contrebande d’armes qui sévit gràace aux appuis intéresssés de certaines puissances étrangères rend ces hordes dissidentes assez dangereuses pour contraindre un gouvernement hésistant à prendre au moins des mesures de sécurité. Il en résulte une concentration des forces
et, bientôt, l’idée d’une expédition prend naissance.Une nouvelle opération dans le Haut-Guir s’impose ; elle va comprendre trois colonnes qui devront opérer leur jonction dans la plaine du Tamlet, dont le poin principal est le Ksar de Mengoub pour, de là, poursuivre un ennemi éventuel.Elle provoque, en plus, l’occupation de Bou Denib.
La concentration des forces achevée à la limite des postes existants, les colonnes se mettent en route. Dans chacune, il ya une forte concentration légionnaire. La colonne A, venant de Forthassa, est fournie par le GM de Berguent. En son sein, la 3ème compagnie Montée du 1er Etranger, à la tête de laquelle se trouve le capitaine Bertrand, assisté des lieutanants Huot, Rollet, et Brillat Savarin et du Docteur Delater, celui qui avait participé au sauvetage des rescapés de la 20ème compagnie victime du désastre de Forthassa. La colonne B qui part des Beni-Ounif sous les ordres du Colonnel Hervé, comprend entre autres les 6ème et 21ème compagnies du 2ème Etranger. La colonne C, à la tête de la quelle se trouve le lieutanat-colonel Pierron, partant de Béchar comprend des tirailleurs, des spahis, la 23 ème Compagnie du 2ème Etranger et la fameuse 24ème Compagnie Montée du 1er Etranger sous les ordres du capitaine Maury.Elle sera la première colonne à rencontrer les éléments de la harka. Arrivée le 14 avril 1908 au soir auprès de l’oasis de Menabha, alors qu’elle attend les ordres pour effectuer sa jonction avec les autres colonnes elle est attaquée par un fort parti de dissidents le 16 dès les premières heures.
La nuit est complète. Les troupes forment le carré sur un terrain dégagé non loin de la source et des petits postes sont établis sur les hauteurs dominant le bivouac. Tout à coup des coups de feu éclatent.Quelques centaines de dissidents se sont glissés au fond du ravin et, abrités par les palmiers qui entourent la source, attaquent le camp.
D’autres, sur les crêtes, refoulent les petits postes et prennent les défenseurs sous les feux.
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Elle pénètre sous le couvert, empêchant par là même l’artillerie de continuer à lui assurer son soutien et se heurte de suite à une foggara profonde et large qu’il est impossible de franchir. Chacun des deux pelotons cherche une issue de son côté et bientôt celui du lieutenant Jaeglé tombe sur un fort parti de dissidents. Il lui reste la seule ressource d’attaquer à la baionnette. L’élan est tel que le groupe se retrouve maître du terrain, mais le lieutnant Jaeglé est grièvement blessé et meurt le lendemain dans l’ambulance.
Au général Vigy qui lui exprime son chagrin de le voir si gravement atteint, il répond : « Ne me plaignez pas, mon général, dites-moi seulement si vous êtes content de nous ».
La palmeraire de Beni Ouzien enlevée par les nôtres, les hordes dissidentes se replient sur celle de Bou Denib, à quelques kilomètres à l’ouset. Instruit par la leçon de la veille, le général Vigy donne des ordres très stricts pour que personne ne s’engage sous les couverts avant que le canon ait pu faire son œuvre. Dès l’aube du 14 mai, les trois colonnes se rapprochent de la palmeraie et prennent position sur les hauteurs dominant la rive gauche de l’oued.
Alors, l’investissement commence tandis que l’artillerie prend sous son feu le Ksar. Déjà des groupes de Berabers s’enfuient en direction de la hammada au sud ou remontent la vallée vers Tazzouguert pour échapper à l’enfer. Mais, à l’intérieur des murailles, des centaines d’irréductibles continuent à tirer sur tout ce qui s’approche de leur repaire.
Deux heures durant, les obus tombent sur le ksar, atteignant par trois fois le minaret. Enfin, le déluge de fer cesse et des petits groupes parviennent, non sans pertes, à s’approcher des remparts. Se voyant perdus, les derneirs occupants hissent un drapeau blanc au sommet du minaret. Le feu s’arrête et les groupes de spahis, de sahariens et de chasseurs entament la poursuite des innombrables fuyards, se hâtant sur les pistes du Taffilalet ou de l’Atlas.
Des approvisionnements considérables sont découverts dans le ksar et dans la palmeraie. La leçon a été sévère et quelques mois seront nécessaires aux dissidents pour refaire leurs forces et reconstituer leur ressources.
Non loin de la palmeraie, un camp est établi qu’il faut bientôt déplacer en amont du Guir, les environs du ksar étant rendus inhabitables par les monceaux de cadavres d’hommes et d’animaux à peine enterrés. Fortement défendu, bien approvisionné, le dispositif est complété par un blockhaus établi sur une gara () dominant la vallée de plus de cent mètres d’où les vues s’étendent fort loin permettant de déceler tout retour offensif de l’ennemi. La prudence et le savoir- faire de la garnison laissée sur place font de cet ensemble un emplacement redoutable. Les événements de septembre prouvent qu’une petite troupe, bien commandée et stratégiquement bien installée, peut résister à d’énormes vagues ennemies.
Au lendemain des combats de Menabha, de Beni Ouzien et de Bou Denib, les corps de nos morts sont transportés à Bou Anan, sauf celui d’un légionnaire retrouvé atrocement mutilé dans la palmeraie de Beni Ouzien. Les légionnaires de la 20ème compagnie du 1er Etranger qui ont survécu à la terrible catastrophe de Forthassa, aménagent sous le commandement du capitaine Cappillery remis de ses blessures un cimetière digne du sacrifice de leurs compagnons d’armes.
Plus tard, les corps des lieutanants Coste et Jaeglé seront transportés à Colomb Béchar. Le 20 janvier 1909, un monument est inauguré à la mémoire des deux officiers et de tous les morts des régions sahariènnes. Le général Alix, après avoir salué leur mémoire y dépose les insignes de chevalier de la Légion d’Honneur qui, en la personne de leurs officiers, récompensent les éfforts et les sacrifices des légionnaires tombés pour assurer la paix dans ces régions insoumises.
Bou Denib est un jalon de plus planté dans l’étendue hostile du sud-oranis. Ce jalon est résistant, certes, mais isolé, cerné de tous côtés par les montagnes ou la hamada(), proie tentante pour les innombrables hordes de pillards des contreforts de l’Atlas ou des oasis du Tafilalet, jalon relié au monde civilisé par des convois coûteux et pleins d’aléas. Plus qu’un établissement, c’est un défi !
Dès que les aménagements et les défenses essentielles sont en bonne voie, le commandement fait refluer sur les postes déjà solidement établis la majeure partie des colonnes. On ne peut concevoir, en effet, de maintenir tout ce monde pour défendre un seul point. D’autre part, le ravitaillement d’une garnison trop nombreuse pose des problèmes ardus. Enfin, le gouvernement, avec son habituelle prudence, ne peut se résoudre à pousser l’opération plus avant. « La leçon, estime-t-il, a été suffisante et les tribus des alentours se tiendront pour longtemps tranquilles. »
Seules quelques reconnaissances vers le nord –ouest sont exécutées par la garnison, qui compte en son sein les éléments de la colonne Pierron amputée de la 23 ème compagnie du 2ème Etranger. Le commandant Fesh, autrefois commandant de la 24 ème compagnie Montée, prend le commandement du poste avec le titre de « Commandant Supérieur du Haut Guir ». La 24 ème Montée forme avec la 6ème compagnie du 2ème Etranger, une unité composée de tirailleurs et un escadron de spahis l’essentiel de la garnison.
Dès les premiers jours de juin 1908, le haut commandement est informé que des groupes hostiles se réunissent dans la région de Toulal, à deux cent kilomètres au nord-ouest de Bou Denib, ainsi que dans les oasis du Tafilalet. Leurs chefs proclament qu’ils vont chasser les troupes françaises de Bou Denib et l’appât du pillage facilite le recrutement. Un mois plus tard, les bruits sont confirmés par des renseignements précis qui chiffrent les effectifs des harkas à hauteur de 25 000 hommes environ.
Avec sa lenteur habituelle, le gouvernement songe à prendre des mesures de protection, puis, après mûre réflexion, permet au commandement de réunir une imposante colonne de secours à Colomb. Elle comprend le 3ème bataillon du 2ème Etranger, un bataillon de marche formé par la réunion de deux compagnies (6ème et 8ème) du même régiment et deux autres (18ème et 20ème ) du 1er Etranger, trois bataillons de tirailleurs, deux escadrons de cavalerie et tous les services nécessaires.
Alors que ces forces se réunissent, les défenseurs du blockhaus élevé sur la gara de Bou Denib voient au loin vers l’ouest les replis de la vallée du Guir s’émailler de points clairs, qui sont des tentes de dissidents. Peu à peu, elles forment un énorme camp, couvrant près de 4 kilomètres, qui, jour après jour, se rapproche peu à peu de la position.
La colonne de secours arrivera après la bataille, mais cependant assez tôt pour écraser les assaillants. Auparavant, la garnison de Bou Denib écrit une page magnifique de l’histoire militaire française.
Quatre vingt dix hommes, sous le commandement du lieutenant Vary, forment au matin du 1er septembre 1908 la garnison du blockhaus dominant de plus de cent mètres l’oasis de Bou Denib et le camp. Depuis trois mois, la petite troupe, relevée périodiquement, guette la première manifestation de l’ennemi. Relié par un système optique à la redoute, le poste de la gara est l’œil de la garnison. Dès le 12 août, la lunette d’approche, qui couronne l’ouvrage, a relevé à 10 kilomètres à l’ouest un véritable fourmillement humain, une éclosion soudaine de tentes. La nuit, depuis cette date, des feux innombrables scintillent comme des étoiles.
Les quarante hommes de la 24ème Compagnie Montée, sous les ordres du sergent Koning, les 3 hommes du 2ème Etranger, les tirailleurs et les quelques hommes du génie ou de l’artillerie comprennent que, désormais, le sort de leurs camarades de la vallée est entre leurs mains. Le blockhaus tombé, Bou Denib serait aveugle et, de plus, placé sous le feu plongeant de la harka. Le massacre serait alors à peu près certains.
Pendant la journée du 1er septembre, quelques éléments ennemis viennent tâter la redoute qui leur répond comme il se doit. A l’abri derrière leurs murettes, raconte le sergent Lefèvre de la 24ème , les défenseurs impassibles, tenant d’une main leur couteau, leur pain et leur viande et de l’autre leur fusil, contemplent le spectacle par les trous de la muraille.
Les derniers renseignements font effectivement état de 25 000 guerriers, sans compter les femmes qui excitent les combattants de you-you stridents et les enfants qui espionnent ou servent d’agents de liaison. La garnison compte à peine 1500 hommes. Mais l’artillerie est là pour compenser, autant que faire se peut, cette formidable infériorité numérique. Le blockhaus, prêt à tout, observe les mouvements de l’ennemi et renseigne par le télégraphe optique les défenseurs du camp.
Vers 18 heures, comme la nuit tombe, les clameurs des assaillants, massés peu à peu autour de la gara, redoublent 20 000 hommes partent à l’assaut de ce fortin isolé que défendent 90 braves ! L’artillerie du camp, dirigée de loin par les assiégés eux-mêmes, creuse des vides sanglants dans les essaims de dissidents qui s’agrippent aux flancs abrupts de la gara et parviennent jusqu'à l’enceinte de barbelés qui forme la seule protection du blockhaus. Les assiégés, calmes, économisent leurs munitions, les empêchent d’atteindre les murs. La garnison de Bou Denib assiste impuissante à cette lutte homérique. L’artillerie du fortin, deux pièces de 80 hissées à grande peine, est depuis longtemps hors d’usage. Heureusement, les défenseurs disposent d’une bonne provision de grenades et s’en servent judicieusement. Au milieu de la nuit, le combat diminue d’intensité et les dissidents, déjà sévèrement étrillés, se contentent de harceler à coups de fusils ce malheureux ouvrage de fortune que leurs vagues ont battu des heures …

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