jeudi 3 décembre 2009

Le Combat de Beni-Ouzian et la prise de Bou-Denib

LE FIGARO
N°137 du 16 Mai 1908
AU MAROC
Le combat de Beni-Ouzian et la prise de Bou-Denib


NB : Moulay-Lhassen dans le texte est le Cheikh Moulay Ahmed Ben Mohamed ben Lhassan SBAI : مولاي أحمد بن محمد بن الحسن السبعي

Encore une sanglante, une douloureuse journée dont a été le théâtre cette vallée du Guir, où tient campagne depuis trois semaines le général Vigy : 13 morts, 65 blessés… Ces jours-ci, nous avions annoncé la formation de rassemblements hostiles aux environs de Bou-Denib, la marche offensive de nos troupes et laisse pressentir un engagement prochain.
L’engagement s’est mué en bataille, et certains, devant le chiffre élevé de nos pertes, ne manquèrent pas de (…) et de chercher partout des responsabilités.
Or, il faut le dire, le grand, le seul coupable : c’est le pays, le pays de la surprise.

La région qui s’étend au sud et au sud-ouest de la province d’Oran, vers le Maroc et le Sahara, est caractérisée par des plateaux immenses d’où surgissent quelques arêtes vives de rochers. Partout, c’est le sable ou le gravier, parfois les dunes aux replis mouvants. Rarement quelques palmiers, réunis autour d’une mare saumâtre ou d’une maigre source, luttent contre l’envahissement du désert et abritent à leur ombre, un peu de vie.

Mais les replis des dunes, les anfractuosités du roc calciné, les troncs des palmiers sont des abris sûrs pour les organisateurs d’embuscades. Contre la complicité du vent, du sable, les reconnaissances les mieux conduites ne parviennent pas à percer le mystère troublant du désert. On sent le danger à chaque pas, sans parvenir à découvrir la cachette où il se terre. Le silence est profond, troublé par rien ; vos yeux s’usent à vouloir percer le secret de la dune ; de la montagne ou de l’oasis et ils ne voient rien ; mais derrière la montagne, du sein de la dune ou des frondaisons de palmes, l’ennemi vous suit pas à pas et vous attend.

Depuis le jour où nous avons, pour la première fois, foulé le sud du désert, il en a toujours été de même ; et si, trop souvent, nous avons été victimes, la plupart du temps, les plus minutieuses précautions n’avaient pu nous sauvegarder.

Ces généralités sur l’aspect et la constitution du pays une fois connues, il reste à préciser la topographie du Guir, afin de faciliter la compréhension des dépêches qui vont suivre.

Le Guir est un fleuve à la fois marocain et saharien ; marocain, parce que, sorti des neiges du Grand-Atlas, sa vallée supérieure est fécondée de ses eaux; saharien, car, parvenu dans le désert, son lit se dessèche ou devient souterrain. On désigne sous le nom de bassin du Guir, une sorte de dépression formée par le Guir et ses affluents, où les plaines désertiques sont parsemées d’une assez grande quantité de palmeraies pour nourrir des peuplades demi nomades. Les palmeraies les plus fertiles, abritent, par conséquent, les ksours les plus peuplés, s’égrènent dans les vallées sablonneuses : ce sont Aïn-Chaïr, Bou-Anan et Bou-Denib. L’eau, dans ces oasis, se trouvant avec une abondance relative, attirent les caravanes et fait d’elles les étapes de la route qui mène de l’Oranie au Tafilelt, qu’il faut se garder de confondre avec le Guir, car si certaines tribus du Tafilelt sont propriétaires de palmeraies dans le Guir, à Bou-Denib notamment, il n’en est pas moins vrai que plus de cent kilomètres de désert pierreux ou hammada séparent les deux régions.

Le général Vigy était parvenu, le 10 mai, à Bou-Anan. Ayant accordé à ses troupes un jour de repos le 11 mai, il en repartait le 12 pour Bou-Denib où ses reconnaissances lui avaient signalé une formation nouvelle de la harka de Moulay-Lhassen. Fort sagement, il avait décidé de prendre l’offensive qui garantit mieux des surprises et avait cet autre avantage d’entraver le recrutement des indigènes en les déconcertant par une brusque attaque.

Or, le 13 mai, alors que le général songeait à livrer combat à l’ennemi dès le point du jour, il apprenait, en arrivant à un puits nommé Es-Saheli, que la harka loin d’être décontenancée par sa marche en avant, s’était elle-même portée à sa rencontre.

En effet, au moment où les têtes de colonne approchaient d’une petite palmeraie située à une dizaine de kilomètres de Bou-Denib, un feu violent dirigé avec précision accueillait nos troupes. Il était environ trois heures de l’après-midi, la chaleur était suffocante et les troupes étaient fatiguées d’une marche pénible.

Néanmoins, avec un sang froid, un entrain et un courage extraordinaires, tout le monde se prépara au combat. Les dispositions, prisent très rapidement, furent aussi rapidement exécutées.

Pendant que l’artillerie prenait position pour faire tomber une plate de fer sur la palmeraie où les Berabers abrités, pour le plus grand nombre combattant à pied, continuaient sur nous un feu trop précis, l’infanterie déployait ses lignes et s’avançait résolument.

En même temps, les Berabers harcelaient nos flancs avec leurs cavaliers, nos chasseurs d’Afrique et nos spahis recevaient l’ordre de charger.

L’acharnement des Marocains, malgré tous ces efforts fut tel qu’à la nuit close, décimés, en retraire, mais sans désarroi, ils combattaient encore.

Du moins obligés de quitter l’abri de la palmeraie, n’eurent-ils d’autre souci que de gagner Bou-Denib où la nuit et d’autres palmeraies, leur garantissaient une sécurité que le soin de nos morts et blessés et la nuit même ne pouvaient permettre de troubler.
Le général Vigy fit alors dresser le camp sur l’emplacement du combat, en avant toutefois de la palmeraie de Béni-Ouzien. La nuit se passe sans alerte.
Nous avons eu trois officiers et dix hommes tués ; soixante-cinq blessés, dont sept officiers, furent pansés de suite à l’ambulance et ont dû être, dès hier, acheminés sur Colomb-Béchar.
Les trois officiers tués seraient un capitaine de tirailleurs, un lieutenant de spahis et un lieutenant de chasseurs d’Afrique.

Avant-hier, 14 mai, le général Vigy a dû marcher sur le ksar de Bou-Denib où se trouve le gros de la harka. Il faut bien remarquer, en effet, que, suivant les télégrammes officiels nous n’aurions eu affaire le 13 qu’à une avant-garde de cette harka, à cinq ou six cents hommes tout au plus, sur deux mille à deux mille cinq cents guerriers qui se trouvent concentrés à Bou-Denib.
Le général Vigy télégraphie que l’ennemi a éprouvé des pertes considérables, qui n’ont pu être relevées à cause de l’heure tardive à laquelle le combat a pris fin.

Malgré ces pertes, il est à craindre, d’après le mordant des Berabers dans cette journée du 13, que la harka ne profite des abris que lui offrent les palmiers, les murs en tabia en pisé de Bou-Denib pour nous disputer le terrain.

Du moins pourrons-nous espérer qu’une fois à Bou-Denib les hostilités s’arrêteront, forcés que seront les débris de cette harka, pour pouvoir subsister, de gagner le Tafilelt et de mettre par conséquent, entre eux et nous, la barrière presque infranchissable en cette saison du hammada désolé et vide sur plus de cent kilomètres.

En attendant les détails circonstanciés qui ne tarderont guère à nous parvenir et permettront mieux de nous faire une idée de ce que fut la journée de Béni-Ouzian, il est une chose qu’il convient de souligner et qui ressort dès maintenant avec l’évidence la plus absolue des télégrammes du général Vigy : l’héroïque intrépidité de nos soldats.

Une fois de plus, la conduite des troupes est au-dessus de toute éloge.

Par Jean du Taillis

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